LES PLENIPOTENTIAIRES AUTRICHIENS
(DU 2 JUIN AU 10 SEPTEMBRE 1919)
Dans un article du 22 mai 1919, le journaliste du Figaro, qui a sans doute l’habitude de caricaturer les personnalités politiques, fait un portrait inattendu de Karl Renner, chancelier fédéral de 1918 à 1920, au moment où son pays traverse une situation dramatique :
« Les délégués autrichiens poursuivent leur heureux séjour à Saint-Germain dans une paix profonde. Leur chef, le chancelier Renner en tenue de campagne (souliers de toile blancs, casquette, complet clair) se promène dans la Villa Reinach »
Salomon Reinach, est archéologue et conservateur du musée de Saint-Germain. Il est né à Saint-Germain le 29 août 1868.
Le 2 juin 1919, a lieu au château de Saint-Germain, la première conférence entre les Alliés et le gouvernement de la République Autrichienne.
A 11 heures 25, arrive Clémenceau et le général Mordacq, son chef de cabinet militaire. Le peloton du 23° dragon rend les honneurs.
Les plénipotentiaires des nations alliées, vont prendre place dans la salle de la Gaule préhistorique où président les bustes d’Edouard Lortet et de Boucher de Perthes. C’est devant ces bustes que siégeront Clemenceau, avec à sa droite Wilson et Orlando et à sa gauche Lloyd George et Balfour. Finalement Orlando rejoindra les délégués italiens.
A midi, l’huissier annonce « Messieurs les plénipotentiaires autrichiens »
Les délégués autrichiens sont en haut de forme et redingote. Le chancelier Karl Renner est encadré par le commandant Bourgeois et le capitaine Della Roca, suivi de douze délégués et secrétaires.
L’unique minute émouvante de la journée fut l’attitude des vaincus conscients de leur défaite. Ils ne relevaient pas la tête par une sorte de défi mais ils saluaient avec une inflexion de tout le corps. Les alliés se rappelaient l’entrée raide et insolente du comte Brockdorff-Rantzau et de ses collaborateurs.
Sans préambule, Clemenceau prononce une allocution, traduite en anglais, en italien et en allemand, à laquelle Renner répond en français. Puis M. Dustata, secrétaire général de la conférence, remet à M. Karl Renner les conditions de paix, un volume de 300 pages.
Avant l’expiration du délai de 15 jours, les délégués pourront envoyer leurs réponses ou demander des explications. Le conseil suprême après examen des observations adressera une réponse écrite en indiquant le délai pour une réponse définitive.
Le chancelier Renner prend la parole et se plaint de la longue attente qu’on leur avait imposée depuis leur arrivée en France. Il souhaite aboutir à un traité de Paix dont les clauses assurent pour son pays, l’avenir et l’existence nationale, politique et économique de cette jeune république. Il affirme que la nouvelle République autrichienne s’est affranchie de toute aspiration à dominer d’autres nations, cause fatale de la ruine de l’ancienne monarchie.
A 13 heures 10, la séance est levée.
Le 3 juin, le chancelier Renner a quitté Paris par l’Orient-Express pour se rendre à Innsbruck où il doit rencontrer le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, M. Bauer. Le 7 juin, il est de retour vers 7 heures 45 à la gare de l’Est.
D’après le Figaro du 9 juin, l’Assemblée nationale autrichienne considère que les conditions de la paix sont inacceptables, et a décidé, par un vote, qu’aucun Allemand ne pourra être extradé à la demande d’un gouvernement étranger en vue de poursuites judiciaires. Or, cet article est contraire aux dispositions proposées dans le traité de Paix. Le député M. Hauser, socialiste chrétien, s’est prononcé contre la force brutale exprimée par le traité de Paix. Aucun pouvoir sur terre, a-t-il dit, ne peut déchirer les liens qui nous unissent à nos frères allemands menacés.
Le 20 juillet, les délégués ont enfin reçu le texte complet et définitif du projet de Traité sur lequel les alliés se sont mis d’accord. Il tient compte sur plus d’un point des observations et des notes adressées par la délégation autrichienne.
C’est sur le plan économique et financier que la situation est catastrophique. Et, par ailleurs, comment régler le problème autrichien tant que la Hongrie est en proie à l’anarchie, au chaos bolchevique, tant que Bela Kun, sentinelle avancée de Lénine, menace les Tchéco-slovaques et les Roumains ?
Le 2 septembre, M. Dustata a remis à la délégation autrichienne le texte du traité de Paix. A ce document était joint une lettre de Clemenceau adressée à son excellence M. Renner.
Clemenceau déclare que le peuple autrichien partage dans une large mesure avec la Hongrie la responsabilité des maux dont l’Europe a souffert au cours des cinq dernières années, contrairement à ce que ses représentants prétendent. Et il énumère les preuves :
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Déclaration de guerre de l’Autriche, alors que la Serbie avait accepté les demandes de l’Autriche à l’exception de celles ne respectant pas sa souveraineté.
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Acclamation populaire à Vienne lors de la publication de la déclaration de guerre
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Système de domination et d’oppression opposant les races, les unes aux autres, et auquel le peuple autrichien a donné un appui constant qui a été une des causes les plus profondes de la guerre
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La dissolution de la monarchie est la résultante directe de cette funeste politique d’hégémonie dont le peuple d’Autriche porte la principale responsabilité
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La conclusion du président du conseil est que le texte envoyé aujourd’hui à la suite de celui du 20 juillet qui comportait déjà des changements considérables par rapport au texte original du 2 juin, doit être accepté ou rejeté tel quel. En conséquence, les puissances alliées et associées attendent de la délégation autrichienne, dans les cinq jours à compter de la date de la présente communication, une déclaration leur faisant savoir qu’elle est prête à le signer tel quel.
Le traité de Paix est signé le 10 septembre à dix heures au château de Saint-Germain par les puissances alliées et le chancelier Karl Renner. Les délégués du nouvel Etat Tchéco-slovaque ont signé le traité. Les Roumains n’ont pas signé, pour le moment, à cause de l’article 60, concernant les minorités ethniques, qui ne respecte pas la souveraineté de la Roumanie. Les Yougoslaves jugent nécessaire d’en référer à leur gouvernement.
Dans un ouvrage collectif « Histoire de l’Europe du Centre-Est », Marie-Elisabeth Ducreux, directeur d’études au CNRS, reconnait que « les historiens, aujourd’hui inclinent dans leur majorité à voir dans la Première Guerre mondiale l’occasion première de l’effondrement de l’empire ». Elle fait référence, à l’analyse critique des raisons de la chute de la monarchie séculaire des Habsbourg, de l’historien britannique Alan Sked. Cet auteur, après avoir évoqué tous les paradigmes possibles, concluait par « l’évocation du vieil empereur François-Joseph allant sciemment à un désastre évitable, par fidélité à la morale de responsabilité nobiliaire séculaire de la dynastie, dès l’ultimatum à la Serbie de juillet 1914 ».
L’avant-dernier souverain autrichien, lors de la défaite de 1866 aurait dit « on doit résister le plus longtemps possible, faire son devoir jusqu’au bout et pour finir, périr avec honneur ». Cette phrase résume encore ce qui n’était pas négociable en 1918.
Lors des conférences du traité de Paix, ce sujet a fait l’objet de joutes oratoires entre Clemenceau et Karl Renner.